Oui, si simple. Comme s'il n'y avait qu'à demander gentiment et poliment les choses pour que tout s'arrange.
La question de la désobéissance civile est tout sauf évidente. Parce qu'en effet il s'agit de se mettre en porte-à-faux avec la loi, de mettre en cause, ou en tout cas en questionnement la légitimité de l'autorité. Une autorité reste-t-elle légitime quand elle n'est pas juste? Ou quand les solutions qu'elle propose sont tout bonnement inapplicables, de simples pansements sur une jambe de bois?
Voilà ce me taraude suite à la manifestation #Reclaimthenight. Manifestation présentée dans les média comme "ayant dégénéré". Je n'ai jamais vu dégénérer une manif féministe. Aucune de celles auxquelles j'ai participé depuis bientôt 20 ans (c'état l'instant vieille conne). J'y ai toujours vu régner un esprit festif, solidaire, joyeux. A priori, il ne s'agissait pas de casseuses en puissance. Cela dit déjà assez, je pense, de la méconnaissance des mouvements sociaux par ceux-là même qui sont censés sécuriser l'espace public. Ils ne savent pas qui est en face d'eux, ils ignorent les raisons du rassemblement. Et, dans le cas présent, dans le doute, ils tapent.
Alors, bien entendu, on objectera que cette marche n'était pas autorisée. C'est un fait. C'est même tout à fait cohérent avec l'esprit du mouvement Reclaim né en Angleterre il y a longtemps (le siècle dernier) et qui organisait des street parties sauvage afin que la population réinvestisse l'espace public, qu'il ne soit plus uniquement un espace de circulation entre deux endroits privatisés. L'endroit où tu marches entre deux cafés, entre deux magasins, un resto et un ciné. Mais un endroit aussi d'expression, de partage, qui appartient à toutes et tous, chacune et chacun. Ce qui ne veut pas dire non plus qu'on y est autorisé à se comporter comme des porcs. Bizarrement, après les Reclaim parties, les rues étaient propres, parce qu'on faisait appel au sens du bien commun des participants. Dingue, non?
Donc, dans la logique du mouvement Reclaim, on n'a pas à demander l'autorisation d'occuper un espace public qui de facto nous appartient. Et en l'occurrence pour exercer pacifiquement (ce qui ne sous-entend pas silencieusement) un droit constitutionnel. QUI PLUS EST quand il s'agit de rappeler que parmi ces citoyens qui ont le droit d'occuper l'espace public, il y a une moitié de femmes. Or, pour elles ce n'est pas toujours facile, pour des questions de sécurité. La loi contre le harcèlement étant assez mal faite pour que fort peu de plaintes aboutissent ou soient même recevables. Donc... Ah ben oui, il s'agissait de manifester pour dire aux policiers et à la justice de faire leur boulot. On peut se dire que la réaction violente vient de là. Mais non, puisque d'après des témoignages de première main, ils avaient en face d'eux des gauchistes. Rien à foutre des revendications: berseeeeerk, taaapeeeeeer (tu le vois bien le filet de bave?)
Serait-ce alors une maladie bruxelloise? Parce qu'il me semble qu'avec la police liégeoise, il a souvent été possible de discuter, de dire "Ok, on est là pour tel ou tel motif, telles raisons, on propose telle ou telle façon de faire, on reste encore tel laps de temps et puis on se disloque". Bon, ça ne marche pas toujours, mais au moins le premier contact est généralement moins violent.
Mais admettons, je vous parle d'une ville où les manifs d'extrême-droite sont interdites et réprimées. Faut-il donc croire que c'est Liège le Hell Hole, entièrement noyauté par les gauchissss jusque dans les rangs de la maréchaussée? Quelle horreur, mais quelle horreur! Ouskonvaton, ma pauv'Lucette?
Et malheureusement je crains que ce genre de discussions ne vienne à se répéter de plus en plus fréquemment. Parce que les manifestations, même pacifiques, seront de moins en moins autorisées, de moins en moins tolérées. Petit à petit nos libertés seront grignotées, comme le sont nos conquis sociaux. L'un ne va pas sans l'autre, mais comme la capacité est maintenue de pouvoir dire tout et n'importe quoi sur des espaces privés et surveillables à merci (ici même où vous me lisez, d'ailleurs), on ne se rend pas bien compte. Je peux dire tout ce que je veux sur FB, tant que personne ne me signale et que je ne montre pas mes seins, donc je suis libre.
Mais sortir dans un espace censément public pour remettre en cause les décisions du gouvernement (et il y a de quoi faire), ça ne sera plus aussi facile, sauf à prendre l'initiative et se passer d'autorisation. C'est bête et c'est dommage. Mais c'est un fait: nos libertés constitutionnelles ne sont plus garanties. Et nous ne le voyons pas. Nous nous berçons dans l'illusions des acquis. Nous pensons que rien ne peux nous arriver puisque nous n'avons rien à nous reprocher (vous rendez-vous compte de qui est à l'origine de cette phrase? Savez-vous encore qui était Joseph Goebbels?). Que si nous sommes sages, il ne peut rien nous arriver d'affreux... Chacun enfermé dans sa petite boîte et sa petite case, respectant des normes que nous ne questionnons pas, réprouvant ceux qui dépassent du cadre, honnissant les mauvaises herbes qui ont l'outrecuidance de pousser de travers et dans une indécente joie de vivre libres.
Ne nous y trompons pas, l'opération policière contre #Reclaimthenight était une opération de maintien de l'ordre social. Malgré toutes les objections légalistes qu'on pourra y trouver, il s'agissait de remettre à leur place des personnes qui avaient l'audace de demander à ce que leurs droits soient garantis par ceux dont c'est le travail. Le droit à circuler, le droit à la sécurité, le droit à l'intégrité physique et morale. Rien de plus, rien de moins.
Virginie Godet (concernée et consternée)