Les Purs et le bon usage des mots

Encore de longs mois sans écrire.
Puis lire des choses qui m'interpellent.
Une bonne nuit d'insomnie dessus et paf! La révélation!
La révélation de pourquoi je coince, pourquoi j'avais carrément peur. Oui, oui: peur.

Et non ce ne sont pas les fâcheux fachos qui vous menacent courageusement en MP ou éructent en commentaires qui me foutent les chocottes. Eux, je me doute qu'ils vont poser leur petit caca ou leur grosse merde. Ils sont toujours là où on les attend.

Non, ce qui me fait peur c'est d'écrire une bêtise qui me ferait être déchiquetée, mise en pièces et jetée en pâture à leur fan-club par les Grands Purs Qui Savent, ceux qui sont autorisés à penser et décident de ce qu'il est bon de penser et d'écrire. Ceux qui savent quelles sont les idées qui conviennent, quels sont les mots à utiliser, quelles sont les vraies priorités, et qui fréquentent les bons cercles, viennent d'où il faut, vivent comme il se doit pour être un Grand Pur Qui Sait. 

Je ne serai jamais l'une des leurs, ce qui n'est  ma foi pas grave. Ce qui est plus grave, c'est la peur de leur regard, de leur morgue, de leurs absolues certitudes qui toisent, jugent et jaugent mes doutes et ma pensée toujours en mouvement. Et qui devrait ne pas avoir honte d'être en mouvement. Pas plus que je ne devrais avoir peur d'utiliser l'un ou l'autre mot ,craindre d'être taxée de novlangue libérale, d'usage de néo-concepts sociologiques venus des affreux Stééééééts, ni de m'interroger au contraire sur la connotation de certaines expressions.

Les mots sont à tout le monde, les dicos en vente libre, les concepts sont là pour être triturés.

Sauf que... Pas par n'importe qui, semble-t-il. Et ce sont les Grands Purs Qui Savent qui en fixent le bon usage. Donc bon, quand tu n'es qu'une obscure cousette et écrivailleuse, issue d'une minable université de province où on n'apprend même pas à utiliser son esprit critique (Alkin me pardonne, c'est pas moi qui ai dit ça, c'est un Pur Qui Sait), ben tu moules ta gaufre. Tu deviens frileuse. Tu gardes les flux et reflux de tes doutes et cogitations pour toi, tant le manque de bienveillance ambiant t'écorche ton petit coeur de bisounours.

Puis tu te dis que de toute façon c'est pas une grosse perte, que tes élucubrations ne doivent pas manquer à grand monde. Et en fait si. Même si ce sont des amis proches, des personnes aiment les émanations de ta petite âme tendre et consternée, ses questionnements à rallonge (et ses blagues à deux balles). Alors tu te tâtes. Est-ce que leur affection et leur soutien ne devrait pas peser bien plus dans la balance que ta peur de te faire taper par les grands dans la cour de récré? Est-ce que ce n'est pas finalement ça qui te fait d bien et te nourrit? Qui te fait grandir bien plus qu'être acceptée dans la cour des grands, parmi les Purs-Qui-Savent, qui ne doutent jamais, s'érigent en maîtres-sachants qui n'apprennent plus rien de personne. N'apprennent plus rien d'eux-même et n'écoutent plus leur petite voix folle, là, tout au fond?

Alors quoi? Encore me taire?
Encore étouffer cet élan qui me pousse à écrire pour parler sans être interrompue?
Je ne sais pas. Pas encore. Parce que ma petite voix folle n'a pas envie de leurs jugements, n'a pas envie de se faire mal. Elle a envie de penser tout haut, de triturer des concepts, d'utiliser tous les mots puisqu'ils sont à tout le monde, puisque les dicos sont en vente libre.
Mais cette petite voix folle a aussi besoin d'être accueillie comme elle est, sans se prendre de baffes dans la cour de récré.

Et ça les Purs-Qui-Savent ne savent pas le faire.