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23 mai 2016 1 23 /05 /mai /2016 14:07

J'ai bien écrit oppresse, pas opprime.

Penser par soi-même, faire ses propres choix, parfois hors des limites rassurantes d'une normalité dont on ne sait toujours pas qui en décide.Aller vers l'Autre, vers le différent, concevoir que cette altérité n'est pas forcément une menace. Aller au-delà de ses préjugés et de son éducation, de ses pré-conçus.

Tout ceci est difficile. Et cette réflexion est en moi de plus en plus présente, prégnante, en regard de ce qui se passe dans notre vieille Europe, soi-disant phare des libertés. La Pologne, la Hongrie, le Danemark.
Peut-être l'Autriche (à l'heure où j'écris, les résultats finaux ne sont pas encore tombés ; mais il n'empêche que 50/50, c'est trop... Pour moi c'est trop, et je vois tant de gens qui ont l'air de s'en réjouir).

J’essaye de comprendre. Je tâtonne, je lis, je discute. Qu'est-ce qui fait que des populations se jettent dans les bras de groupes politiques qui leur offrent du prêt-à-penser, du prêt-à-vivre. Se laisser bercer par le ronron rassurant du totalitarisme. Pas une tête qui dépasse et les vaches seront bien gardées. Tout cela me donne le vertige, et une sacrée peur au ventre. Je me souviens du temps où je me prenais des claques parce que j'aimais trop apprendre. Je ressens encore la violence de la norme établie (Par qui ? Pourquoi?)

Le truc rassurant, c'est que je ne suis pas la seule à m'interroger. Et que des amis m'ont permis de me jeter tête première dans une expérience inédite. Parce que pour bien comprendre, il est parfois nécessaire de ressentir. De se mettre à la place de... D'entrer dans la tête, dans la peau de quelqu'un avec qui on n'est pas, on ne sera jamais d'accord.

Alors, voilà, pendant 9 heures, j'ai été une nazi. Une égérie du NSDAP. Quand tout a été fini, je me suis sentie sale, et j'ai passé des plombes à demander pardon aux gens autour de moi. J'ai été parfaitement infecte. C'était le jeu. Mais j'ai mieux compris les mécanismes à l’œuvre, et non, je n'excuse pas pour autant. Mais j'arrive à expliquer comment on en arrive là (et peut-être ce qu'il y aurait moyen de faire pour l'éviter).

Comment j'ai fait ? Par le truchement du GN (jeu de rôle grandeur nature). Un GN expérimental, dans l'univers d'un cabaret berlinois des années 1930.

Alors que dans les différents univers explorés, je joue souvent des grandes dames à tendance sacrificielle, des bonnes, des pures, des paladines qui finissent mortes de désespoir (et une fois chanteuse de bastringue dans un saloon, mais bon, très peu pour moi), j'ai demandé à être utilisée à contre-emploi. Je voulais entrer dans la peau d'une méchante. Être quelqu'un que je ne serai jamais, plutôt qu'une espèce de version exaltée de mon petit moi-même intérieur.

Je vois déjà certains de mes amis être horrifiés de ce choix. Je leur répondrai comme je l'ai fait à ma mère : « Il en faut bien pour jouer les mauvais, ce sont les rôles les plus intéressant, au théâtre et au cinéma, alors pourquoi pas en GN ? ». Qu'ils se rassurent, je n'en suis pas sortie changée. Juste un peu plus avancée en réflexion.

Comment devient-on Elisabeth Baumer, journaliste satirique d'extrême-droite et parolière ? On le comprend mieux grâce au background du personnage (son histoire que l'on reçoit à l'avance pour se préparer mentalement). Prenez une fille de famille ouvrière nombreuse dans la Bavière de la soi-disant Belle-Epoque. Parents ouvriers du textile (vous vous doutez de l'origine des patrons de l'usine), un destin tout tracé derrière les machines de la filature. Mettez-là quand même à l'école du village, où elle est remarquée par l'instituteur qui la prend sous son aile. Instituteur furieusement antisémite (mais dans la très catholique et traditionaliste Bavière, c'est pas rare).

Donc, dès sa plus tendre enfance, ce type qu'elle vénère comme un modèle lui monte le bourrichon. Il la fait entrer dans un journal, comme secrétaire. Elle devient petit à petit journaliste. Elle participe à l'effort de guerre en 14-18 comme ouvrière dans l'armement. Retourne au journal après l'armistice.

Tout ça est le cocktail idéal pour former une personne avec la rage au ventre, qui en veut à tout le monde et principalement à l'ennemi désigné par son mentor. Et voilà qu'arrive l'Homme Providentiel qui lui raconte tout ce qu'elle a envie d'entendre. Elle se donne corps et âme à sa cause en espérant qu'il voudra bien la remercier un peu. Voici le bois dont on fait les saintes et les martyres : frustration, colère et besoin de reconnaissance, le tout greffé sur une éducation bien conservatrice.

Élevée dans la Ruhr, elle serait sans doute devenue communiste. Mais voilà, elle était bavaroise. Ne jamais négliger le fond culturel sur lequel se greffent les problèmes économiques et politiques.

Et bercée de certitudes, dotée d'une foi inébranlable dans le Grand Homme, Elisabeth était toute prête à aller prêcher la bonne parole en milieu hostile : un cabaret. L'endroit où elle fait tache, mais c'est là qu'est sa mission. Le missionnaire en version Gretchen. Enfin, une Gretchen machiavélique en robe du soir.

A partir de là, tout me semblait clair, et je savais quels leviers actionner pour faire tomber les autres dans mon escarcelle : appât du gain, volonté de pouvoir, besoin de reconnaissance, lâcheté, besoin de sécurité. Tout ce qui avait fait basculer Lizie valait pour faire basculer les autres. La rassurante pensée d'un monde où tout est prévu, où aucune place n'est laissée pour le doute, on pense pour vous, on vous dicte quoi faire, quoi dire, comment vivre, plus besoin de faire de choix, il suffit de suivre les rail. Tout ce qui dépasse sera éliminé, de toute façon. Et comme vous avez peur du bâton, et envie de la carotte. Roule, ma poule.

Voilà ce que j'en ai compris. A la base, il y a un choix. Il y a la fuite de ce qui vous oppresse, et le basculement dans ce qui opprime. Ce qui opprime ce qui vous fait peur, au début, mais vous opprimera aussi, finalement. Vous fera périr d'ennui et d'uniformité, et ce serait le moins grave. Ou mourir pour le moindre petit grain de divergence.

Alors oui, j'arrive à comprendre que des besoins qui ne sont pas rencontrés, des peurs, puissent pousser des peuples à se lover dans les anneaux d'un serpent qui susurre « aïe confiance ». Mais l'expérience, la connaissance, ne leur permettent-elles donc pas de voir, de savoir, qu'un jour où l'autre c'est sur eux-même que ces anneaux se resserreront pour les étouffer ?

Je préfère faire le choix de sauter dans le vide, malgré mes peurs, malgré cette sensation d'écrasement dans la poitrine. Sous peu, elle ne sera plus qu'un frisson. Tout plutôt qu'être broyé dans les anneaux du serpent.

Virginie Godet (concède qu'elle participe à des expériences bizarres, outrecuide jusqu'à vous suggérer d'en faire pareil)

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