Les Slutwalks, Marches des Salopes, ou des Traînées, s'organisent depuis quelques mois. Depuis qu'un policier de Toronto, pendant une séance de "prévention", a expliqué à des étudiantes qu'elles risqueraient moins d'être violées si elles arrêtaient de s'habiller de façon provocante (pour être exacte, il a dit "comme des salopes"). Les propos ont vite fait le tour de la toile, et provoqué un mouvement quasi planétaire. Le 25 septembre, une marche est organisée à Bruxelles, et la question de la participation à l'événement est lancé dans les milieux féministes.
Ce qui fait débat, ce n'est pas la question de manifester pour que la honte change de camp. Là-dessus, je crois que nous sommes d'accord: on ne SE FAIT pas violer, on subit un viol. Et on ne l'a pas cherché. En principe, quand une femme dit non, c'est non, quelle que soit la façon dont elle est habillée. Et même si les vêtements démontrent une envie plus ou moins subtile de séduire (la limite entre sexy et vulgaire est affaire de curseur culturel), cela ne veut pas dire qu'on est prête à accepter n'importe quel camarade de jeu. Non, ce qui fait débat n'est pas le fond, mais la forme, la stratégie et les alliances.
D'abord, ce qui pose problème, c'est l'apropriation du mot "Salopes". Ce qu'on appelle un retournement du stigmate. Tu penses que je suis une salope? Ok, et encore, t'as pas tout vu! Certes, certes, la réaction a quelque chose d'enfantin, genre "nananèèèèreuuuuh!". Qui plus est, le fait de manifester en mini-mini-riquiqui et la poitrine fièrement mise en valeur et en avant risque surtout de bien plaire à tous les beaufs à 10 km à la ronde. Je n'en disconviens pas, mais alors pas du tout... A choisir entre être une sainte ou une putain, je me dis qu'il y en a une des deux qui doit vachement se faire plus chier dans la vie. Mais s'il faut choisir, je cocherais volontiers la case: "autre".
Ensuite, la "stratégie". Peut-on parler de stratégie? Plutôt de réaction épidermique, en fait. Réaction qui donnera lieu à une opération one shot, fortement médiatisée. Et qui laissera dans l'ombre le travail de fond opéré depuis des lustres par les associations de terrain, lesquelles n'ont que très rarement (et c'est un euphémisme) accès aux spotlights. Le travail de fond, que voulez-vous, c'est moins vendeur, le poids des mots n'ayant plus la même portée que le choc des photos. Et les photos des associations de terrain, on préfère ne pas les voir, ça risque de donner mauvaise conscience. A moins que ce soudain coup de projecteur ne leur soit favorable...
Enfin, les alliances. La vague "Sluts" est une aubaine pour les féministes auto-proclamées pro-sexe (vu que les autres sont, comme chacun/e le sait, des mégères poilues, et si pas frigides, du moins mal-baisées, et que ça enquiquine gravement que les autres prennent leur pied). Des féministes favorables à la liberté de se prostituer, puisqu'il s'agit de disposer librement de son corps (ouais, enfin, librement, ça se discute), favorables à la pornographie, etc. Pas facile de faire cause commune avec elles, quand on est abolitionniste ou prohibitionniste, d'autant que leur attitude par rapport aux autres féministes est au mieux agressive. Je voudrais vous y voir, vous, aller manifester avec des personnes qui vous traitent de puritaine à longueur d'année, et dont certaines positions vous semblent difficilement soutenables... Cependant, et là je prends des pincettes d'horloger, la cause, les causes, c'est à dire les violences sexuelles et la pression perpétuelle mise sur le dos des femmes quant à leur, comment dire? "Devoir de respectabilité", valent peut-être la peine que de chaque coté (oui, oui, les pro-sexe, vous aussi!) on mette de l'eau dans son vin.
Bref, bref, j'en étais à peser le pour et le contre, retourner la question dans tous les sens sur le mode "oui, non, ah merde, je sais plus", quand le procureur Cyrus Vance a pris une décision qui m'a permis de me faire mon idée. Je participerai à la Marche des Salopes. Pas en minijupe, je n'en porte jamais. Parce que les effets de l'affaire DSK, ses dommages collatéraux sur les victimes de violences sexuelles, vont être désastreux.
Comprenons-nous bien. Je ne prends parti pour personne dans cette affaire, je ne me prononce pas sur le fond. Je n'étais pas dans la fameuse chambre du Sofitel, je ne sais pas, et ne saurai sans doute jamais ce qui est vraiment arrivé. Mais la fréquentation des cyber-cafés-du-commerce, comme souvent, m'a donné à réfléchir. C'est fou le nombre des personnes qui étaient dans le chambre, ou qui ont l'air de bien connaître Madame Diallo, vu le costard qu'elles lui taillent. C'est fou aussi le nombre de grrrrrands spécialistes des violences sexuelles qui se révèlent dans ce genre de circonstances. De véritables encyclopédistes du stéréotype sexiste, du stéréotype de classe, etc. A les lire, on a le sentiment qu'on ne viole que les jolies et les court-vêtues, et que si cela leur arrive, elles l'ont bien cherché. Qu'on peut toujours se défendre, qu'on a toujours le choix, et surtout, surtout, qui si on veut porter plainte, on a intérêt à être une oiselle tout juste sortie du couvent de Sainte-Marie-les-Berwettes. Sinon, c'est même pas la peine d'aller pleurer. Vous vous ÊTES FAIT violer, c'est de votre faute. Fallait pas que, yavaitka. Saaaaalope!
Donc, j'irai. Pour répéter, répéter, répéter, que quand une femme dit non, c'est non. Que le viol est un acte de domination, une chosification d'une personne, n'importe laquelle, celle qui tombe sous la main de l'agresseur au moment où ça le prend. Son seul tort, à la victime, serait donc d'avoir été là. Et jusqu'à plus ample informé, les femmes aussi ont accès à l'espace publique! Pas question de se cacher, pas question de se cloîtrer, pas question de renoncer à une certaine coquetterie, si c'est mon envie, car tel est mon droit. J'irai parce que le jour où j'ai été victime d'une tentative d'agression, je portais un jean, des boots, un pull et un duffle-coat. J'irai parce que le jour (un autre que le précédent) où un type s'est mis à se masturber à côté de moi dans une gare, j'étais tétanisée, je ne savais pas quoi faire, j'avais peur, et j'avais honte. Et que maintenant, y'en a marre! La rue aussi est à nous, on peut se promener, faire la fête, simplement faire ses courses, rentrer chez soi du boulot, habillée comme on le souhaite. Quand on dit non, c'est non!