J'ai la trouille.

Rien écrit depuis un mois. C'est pas que je n'avais rien à dire. Trop à dire, et pas envie de hiérarchiser, plutôt.

Tout qui se bousculait: la crise, la famine, la montée des droites... On va dire populistes pour ne pas dire de mot qui fâche.

Si j'avais dû le dire ou l'écrire à chaque fois que je l'ai pensé, j'aurais une collection de points Godwin comme un deck Pokemon.

Le mécanisme est simple et connu: devant l'incertitude de l'avenir, devant la complexité du monde, on a peur et on se replie sur soi. Tout parait menaçant, surtout ce qui est différent, surtout qui est différent, surtout qui ne pense pas comme vous.

En cela, je ne suis pas très différente de ceux qui me font peur. Ils me foutent la trouille, bien entendu, parce qu'ils pensent autrement, c'est évident. Moi, c'est le repli qui me fait peur, l'uniformité, le nafoutmonculdabord. Ah oui, ça me fout une trouille, vous n'avez pas idée. Sauf que je n'ai pas envie de me taire, je n'ai pas envie de me replier, je n'ai pas envie d'attendre que ça passe. Je crains trop qu'à laisser faire, ça ne passe pas. De mauvais souvenir d'un temps que je n'ai pas connu.

Alors je reprends ma plume, euh, mon clavier. Pour ne pas leur laisser toute la place, pour faire la part du colibri.

Le pire, c'est que ces gens que je crains tant, ce ne sont pas de grands idéologues. Ils aiment leurs enfants et leurs chiens, si ça trouve, j'en croise certains sur le marché, chez le boulanger. De braves gens. Qui aiment faire un bon barbecue avec le voisin, pour peu qu'il ne mange pas halal. Qui n'ont rien contre les noirs, s'ils jouent au foot. Qui ne regardent pas les sans-abris, mais les trouvent bien pratiques comme excuse, quand il s'agit d'expliquer par A+B pourquoi ils ne donneront pas pour les enfants qui meurent de faim en Afrique (alors que c'est leur droit le plus absolu de ne rien donner, et que personne ne leur demande de se justifier),  et pourquoi c'est scandaleux de laisser entrer tous ces sans-papiers qui viennent jusque dans nos bras bouffer notre pain et violer nos compagnes. Qui n'aiment pas les chômeurs en général, mais n'ont rien contre leur cousin qui peine tant à trouver du travail, en particulier. Qui n'ont rien contre les gays, mais renieront leur gosse s'il s'avère être une de ces sales fiottes dégénérées... Vous voyez, des gens sympas, dans le fond.

Sympas, et qui aiment discuter dans ces nouveaux cafés du commerce que sont les fils de discussion de réseaux sociaux. Qui aiment discuter entre eux, s'entend. Parce que si un intello (NDLR: un intello, c'est quelqu'un qui a déjà ouvert un Bescherelle) s'en mêle, et veut argumenter un brin, expliquer en quoi il n'est pas d'accord, ils sont pris d'une irrépressible crise du syndrome de Gilles de la Tourette. Comprenez bien: l'intello est un connard suppôt de la gauche multiculturaliste, adepte du politiquement correct et de la pensée dominante et unique. Si en plus c'est une femelle, cette salope féministe a intérêt à garer ses bigoudis si on l'attrape. Voilà où on en est.

Et le pire de tout, au risque de me répéter, c'est que ces gens ne sont pas foncièrement mauvais. Ils ont peur et, comme l'écrivait Senghor (ou Aimé Césaire, tiens, je ne sais plus), ils se trompent de colère. Ils sont prêts à sacrifier leur liberté pour un peu de sécurité (ça, c'est Benjamin Franklin). Et leur sécurité, c'est que jamais rien ne bouge, que jamais rien ne change, que rien ne vienne bouleverser leurs certitudes, que la vie ne soit pas un long fleuve tranquille, mais un lac dont rien, absolument rien ne vient jamais rider la surface, immuablement lisse.

Mon dieu, que cette sécurité me fait peur. Elle a un goût de sacrifices, et des relents âcres d'autodafés.