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26 octobre 2011 3 26 /10 /octobre /2011 20:18

Cassandre était princesse de Troie. Appollon lui avait donné le don de prophétie, mais comme elle ne s'était pas montrée très reconnaissante (si vous voyez ce que je veux dire), il l'avait également frappée d'une malédiction: personne ne la croirait. Elle est devenue, par la suite, un symbole de la lucidité qui se heurte à l'ignorance. D'autant que la tradition lui donne une fâcheuse tendance à voir surtout arriver les catatrophes. D'où la propension de ses contemporains à ne pas vouloir la croire.

 

Pourquoi je vous raconte ça? Eh bien parce que je finis par la comprendre, cette pauvre Cassandre. Ce n'est pas la première fois que je narre mes descentes dans les modernes cafés du commerce que sont les fils de discussion des média populaires sur les réseaux sociaux. Ma baffe quotidienne. Une salutaire confrontation avec la réalité. La rencontre avec les lecteurs d'une presse de plus en plus populiste, de plus en plus à droite de la droite, de plus en plus... Beuaaaaark. Bienvenue dans le caniveau 2.0.

 

Alors je me répète, je me répète, je me répète... Tout ce que je vois là, je n'aime pas ça (lisez-le avec l'accent de Monsieur Beulemans). Tant les commentaires haineux des lecteurs que la façon dont sont présentés, rédigés les articles. Souvent on touche le fond, sans en apporter. Souvent on creuse, rarement le sujet. De quoi désillusionner grave sur le quatrième pouvoir, censé informer, donner des éléments nécessaires à alimenter une réflexion. Pas vous fournir en bloc, à la grosse louche, des tas de raisons de vous replier chez vous, la carabine à portée de main, histoire de flinguer le voisin, surtout s'il est chômeur, migrant, sans papiers, jeune, ou tout à la fois. J'ai la cervelle et la plume qui bégaient, mais est-ce bien ma faute? Je croyais qu'il n'y avait plus de presse d'opinion en Belgique. S'il y en a une, alors, qu'elle s'assume comme telle, et qu'elle annonce pour qui elle roule. Et qu'on arrête avec le mythe de l'objectivité. Une subjectivité qui se dit, c'est plus éthique, plus déontologique (oh, merde, j'ai écrit deux gros mots).

 

Comme Cassandre, je vois arriver la vague. Le fond de l'air est bête, le fond de l'air est brun, la catastrophe s'annonce. De plus en plus de détresse, de moins en moins de solidarité. Tout au plus des indignations sélectives, mon voisin avant mon prochain, mon prochain avant mon lointain. Il y a bien des lueurs d'espoir, petites flammes, petits foyers de prise de conscience. Mais les vrais indignés sont-ils les "vrais gens, qui ont les vrais problèmes"? Ils en font partie, oui, mais ils ne sont pas, hélas, trois fois, mille fois hélas, la majorité.

 

Une enquête récente annonçait que 43% des Belges pensaient qu'une partie du discours d'Hitler était intéressante. Soit il ne l'ont pas lu, et c'est grave. Soit ils l'ont lu, et c'est pire. Ailleurs, on se demande quand une figure de la stature de Marine Lepen se révélera chez nous. Et les partis de la petite droite se réclament de l'école de la Walkyrie jambon-beurre. Franchement, ça ne vous inquiète pas, les gens? On est si peu à flipper? Ou c'est parfois plus confortable de ne pas vouloir voir ce qui se passe sous nos yeux? Allez-y, allez lire ce qui s'écrit, ce qui se pense. On peut s'offusquer que de fâcheux fachos (yeah, j'ai gagné un point Godwin) ne se cachent même plus. On peut préférer ne pas le savoir. Mais puisqu'ils ne se cachent plus, autant aller y voir, histoire de se décrasser les lunettes, de ne pas, non plus, leur laisser le monopole de la parole. Ne pas leur laisser le monopole des idées, de leur propagation. Se frotter aux fameux "vrais gens", savoir ce qu'ils pensent, comment ils pensent, comment ils l'expriment. Voir cette frustration, ce manque de confiance, cette peur de l'avenir, qui se mue en colère, puis en haine. On en est déjà là. Il n'est pas trop tard pour rattraper le coup, mais il est déjà tard. On n'arrête pas une vague avec des sacs de sable. Soyons une digue. Une digue mouvante, mobile, partout à la fois. Ce n'est pas une perte de temps. Aucune tentative de dire les choses autrement, de rappeler que la réalité est complexe, et que les problèmes ne se résolvent pas de façon simple, en définitive, de ne pas prendre les "vrais gens" pour des cons, n'est une tentative perdue.

 

Si on n'a pas le courage de le faire, si on préfère baisser les bras, et se dire que tous ceux-là sont perdus... Alors c'est l'espoir en quelque chose de meilleur, on ne sait pas quoi, mais mieux, plus juste, plus solidaire, avec tous, qui serait foutu.

 

Virginie Godet, qui ne veut pas connaître le sens de "résignation".

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commentaires

A
<br /> Merci, merci de mettre si bien des mots sur ce que je pense.<br /> <br /> <br />
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