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23 novembre 2011 3 23 /11 /novembre /2011 10:24

Je vous préviens, aujourd'hui, je me fous à poil. Détournez les yeux, si vous ne voulez pas voir ça.

 

J'écris trop élitiste. J'écris pour qu'on ne me comprenne pas. Faut croire qu'on m'a tapé sur la tête avec le Robert quand j'étais petite... Si c'était aussi simple que ça. Non, les gens, je ne vous méprise pas. Ce n'est pas vrai, c'est très loin d'être vrai. Je sens que je vais me justifier, alors que je m'étais promis de ne plus jamais le faire. Disons que je ne me justifie pas, mais que j'explique.

 

Donc, si vous me lisez depuis quelques temps, vous savez que j'ai grandi dans une toute petite ville.Même dans un hameau rattaché à cette petite ville. Pas le trou du cul du monde... Le coccyx, oui. Et il n'y avait rien à faire, rien de rien. Sauf le patro du dimanche, et le cours de danse du mardi. Alors, dés que j'ai su, j'ai lu. Et j'ai préféré Walter Scott à la Comtesse de Ségur. Et puis des biographies, plein. Ma meilleure copine avait du mal à apprendre à lire, mais envie de connaître des choses, alors j'ai lu, tout haut, pour elle.

 

Et comme je lisais des choses qui m'intéressaient, qui me passionnaient, j'ai eu envie de partager, d'en parler autour de moi, à mes camarades de classes. Mais ça ne les intéressait pas, et même, ils trouvaient ça bizarre. Alors, je me suis retouvée presque toute seule. Et j'ai lu, pour moi, et pour Isa.

 

Les vacances, pareil, c'était morne plaine, sauf quand on partait, c'est à dire pas souvent. Les 10 jours de camp patro, chaque fois un moment de joie. Les escapades dans les Vosges, des crises de boulimie de visites, un plaisir. Mais quand il s'agissait de végéter 15  jours à la côte, misèèèère. Alors je lisais, planquée sous le parasol pour sauvegarder ma peau de rousse des séances d'épluchage, regardant en soupirant et à la dérobée les garçons qui tournaient autour de ma frangine, grande et blonde, qui grillait sur le sable, et se retournait à intervalle régulier. A la fin de la journée, l'Anne était bien cuite. Et j'avais bouffé Le Seigneur des Anneaux.

 

Arrivée à l'adolescence, les choses ont encore empiré. A force de lire, je m'étais isolée. Et le gens de mon âge, je ne les comprenais pas bien. A part la bande de freaks avec lesquels je traînais. On était bizarres, voyez-vous. Je sais, on dirait un synopsis de feuilletons américains, ceux où les losers ont des lunettes et sont mal fringués, et prennent des tartes de la part des copains de cheerleaders. A l'athénée, il n'y avait pas de cheerleaders, mais c'est sans doute la seule différence. Participer à l'antenne-école d'Amnesty, à l'équipe de Génies en Herbe ou à la troupe de théâtre ne changeant rien. Alors j'ai continué à lire, et j'ai commencé à écrire. Sur le mur de la classe de français trônait cette citation de Jules Renard (je crois): "Écrire, c'est parler sans être interrompu". Parfois, je me dis que c'est ça qui m'a maintenue en vie. Mais c'était un cercle vicieux, je lisais parce que je me sentais seule, j'étais isolée parce que je lisais "trop".

 

Le passage à l'université a été une délivrance. Fac de lettres, le pied. Pour réussir, il fallait lire. Alors j'ai lu. J'ai découvert les jeux de rôles, les univers médiévaux fantastiques. Passant de simple joueuse à maîtresse de jeu, il y avait des tas de règles à apprendre. Alors j'ai lu. Et puis je suis tombée malade, rien de grave, mais rien de bénin non plus. Des tas d'examens à passer, des heures de salles d'attente en salles d'attente. Alors, j'ai lu.

 

Je suis mariée, un enfant et demi, ma soeur se suicide. Elle nous quitte  en ne laissant pour tout motif que : "Ce monde est trop moche". Mais si le monde est moche, pourquoi ne pas chercher à le changer? Et pour le changer, il faut le comprendre. Et comment le comprendre? Ben, j'ai lu. Pour démonter le système, voir comment il fonctionnait. De mots en mots, de phrases en phrases, de livres en livres, je me suis nourrie, gavée. Et ces mots restaient gravés, au point que parfois, j'en oublie que ces mots ne sont pas forcément partagés.

 

Paradoxalement, plus je m'ouvre au monde, plus je m'isole. Et je me prive d'une possibilité d'échange. Parce que je dois me sentir coupable, puisque c'est moi qui ne suis pas normale, parce que c'est moi qui ne fais pas d'efforts. Eh bien, bonne gens, désolée, mais les concessions et les efforts, j'en ai plein le cul. Les concessions et les efforts, ils ont failli me tuer. Peut-être qu'à ce stade, certains se disent que c'est dommage qu'ils n'y soient pas arrivés. Mais voilà, je suis là, et j'ai des choses à dire, des choses à faire. Des envies et des avis à partager.

 

Si, parfois, j'utilise des mots difficiles, parait-il, ce n'est pas pour en foutre plein la vue, c'est justement parce que je ne vous prends pas pour des cons. Parce que je considère que les mots sont là, qu'ils sont à tout le monde, qu'ils n'appartiennent pas plus à une classe, à une caste, qu'à une autre. Qu'ils nous est possible, à chacun, chacune, de se les approprier, de les prendre à-bras-le-corps, de les plier à sa volonté. Que les mots disent les choses avec d'autant plus de netteté que chacun est à sa place, utilisé au bon endroit, au bon moment, dans une phrase, dans un texte. Chacun a son poids. Les mots ne sont à personne, les mots sont à tout le monde. Faites-les vôtres, bordel à queue!

 

Virginie Godet, pétasse élitiste.

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commentaires

L
Merci, merci, merci. Pour le fond et la forme, et cet amour/respect des mots et surtout pour cette incitation à se les approprier et à en user.
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M
<br /> <br /> Merci à vous, Liloo, d'avoir lu.<br /> <br /> <br /> <br />
M
Quand tu veux, ma belle, quand tu veux.
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B
Tu veux bien me faire une petite place sur ton île déserte de pétasse élitiste? Comme ça chacune pourra lire tranquille puis discuter avec l'autre pour échanger les points de vue.<br /> <br /> Une autre pétasse élitiste qui parle comme un livre
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